tout s'achète : l'amour, l'art, la planète terre, vous, moi.

01. amnésie : perte partielle ou totale de la mémoire, état pathologique transitoire ou permanent. 02. il s'est réveillé, il y a deux mois de cela, sur un banc en pleine après-midi. ses souvenirs, arrachés. sa conscience, comme piétinée. aucun souvenir. ni de ce qu'il venait de faire, ni de ce qu'il avait fait hier. ni de la cause de cette amnésie. pire encore, pas même de son prénom, de son identité. il ignore qui il est, et même comment il est. 03. il voit un psychiatre deux fois par semaines, qui le travaille par hypnose, comme les médecins n'ont décelé aucun accident, aucune anomalie interne, aucune attaque cérébrale qui pourrait justifier ce trouble. les séances d'hypnose commencent à faire leur effet. en effet, cobb commence à toucher du bout des doigts des bribes de souvenirs. de juste avant le réveil. de la nuit d'avant, précisément. il n'arrive pas à recomposer les flash et les sensations qui l'envahissent parfois. il s'agit principalement d'une peur foudroyante. de la sensation de perdre tout contrôle, de soi et de l'extérieur. il n'en sait pas plus, et se concentre chaque jour pour recoller les morceaux du puzzle. 04. après un arrêt de travail forcé pendant un bon mois, il a repris du service. en effet, il s'est découvert flic, à la tête d'une brigade criminelle. 05. quand il a lu son passeport pour la première fois, y découvrant nom, lieu et date de naissance, il a immédiatement détesté ce prénom. jacob. depuis son "réveil" il préfère se faire appeler cobb. 05. il se cherche. comme un adolescent, il essaie. d'être gentil et méchant. d'être poli et insolent. d'être consciencieux et imprudent. d'être timide et extraverti. il ignore comment est-ce qu'il était avant. alors, il se permet d'être mille personnalités à lui tout seul, selon la personne en face et la situation. 06. sa mère le considère comme décédé. ils ont bien essayé, au début, mais ça a été plus dur que prévu. faire semblant d'être attaché à une stricte inconnue s'est révélé impossible. alors, refusant d'endurer ce calvaire, sa mère a préféré faire le deuil de son fils. son père, lui, a disparu de la surface de la terre depuis qu'il est gosse, lui a-t-elle dit. 07. il ne sait même plus s'il est hétérosexuel ou bisexuel. oui, faut dire que les femmes lui plaisent depuis son réveil, alors il sait qu'il n'est pas gay. mais de là à dire que les hommes le révulsent... 08. les seuls souvenirs qu'il a gardé sont des choses inutiles, futiles et éphémères. la sensation du soleil sur sa peau, l'aboiement de leur chien familial quand il était enfant, le son de voix qu'il n'est plus capable d'identifier, le contact chaud et rassurant d'un lit où il était en sécurité. 09. il a dû tout réapprendre. du goût de la confiture d'abricot aux pièces de son appartement. de comment couper du saumon aux paroles de ses chansons qui étaient ses préférées. mais il a gardé, parfois, des réflexes étranges, comme ancrés en lui. comme celui de tenir un revolver au creux de la main. 10. récemment, il se rend compte qu'il aime beaucoup la boisson. il a peur d'interroger son médecin et que celui-ci lui dise qu'il avait un léger soucis d'alcoolisme, alors il essaie d'éviter. 11. il est sous traitement (par son psy également) pour de fortes crises d'angoisse qui le malmènent parfois. il lui arrive de paniquer totalement et de perdre tous ses moyens en une seconde, lorsqu'il ne sait pas quelque chose de vital, d'évident, ou même de compliqué. il peut s'agir parfois d'un simple détail pour le perturber et le plonger dans des crises violentes, où il devient violent ou bien complètement renfermé, en proie à de l'hyperventilation. 12. il est donc difficile à gérer. par moments, il veut tout découvrir, tout essayer, comme un gosse innocent et inconscient. par d'autres, il préfère s'enfermer dans sa routine, et ne faire que des choses qu'il réapprend par coeur, comme des leçons d'école. 13. la seule chose qui l'ait attendu, chez lui, au lendemain de son réveil amnésique, a été Balto. un magnifique husky qui, selon ses collègues flics, l'accompagnait partout avant. cobb lui confie tout, comme un journal intime à quatre pattes. 14. il y a bien une alliance, dans son porte-feuille. mais nul doigt auquel le passer. chez lui, des photos d'une femme avec lui. des sourires idylliques aux lèvres. des lettres d'amour laissées dans les tiroirs, partout, sa présence. aurore, qu'il lit sur les lèvres, sur les signatures. mais il n'en connait aucune. et quelque part, il a le pressentiment terrible que son amnésie vient de là. de cette présence qui a, soudainement, disparu. 15. pour ne pas le fragiliser, ses anciens amis ont suivi le conseil de son psychiatre : ne pas lui rappeler sa vie d'avant. ne pas lui dire qu'il était fiancé. ne pas lui dire qu'il était sur la piste du plus grand tueur en série du pays. ne pas lui dire. que tout vient peut-être de là. 16. il a souvent la peur irrationnelle d'être suivi, traqué, surveillé. ça devient une obsession.

Il y a des jours avec, et des mois sans.
(deux mois plus tôt)
Il ouvre les yeux. Au-dessus de lui, des arbres. Des feuilles, qui lui cachent le soleil qu'il devine chaud et rayonnant. Il entend les piaillements d'un oiseau. Ça sonne doux à ses oreilles. Il prend son temps. Ne pas s'éveiller trop vite. Il a l'impression d'émerger d'une sieste. Ou d'une bonne nuit de sommeil. Ce qui aurait pu être le cas.
S'il n'était pas allongé sur un banc dans un parc public à quinze heures de l'après-midi. Sans doute pendant sa pause de travail. Ou peut-être est-ce le week-end. Attendez, quel travail ? Il se redresse doucement. Sa tête tourne. C'est affreux. Il la prend entre ses mains, mais autour de lui, le décor flotte. Le pire, sur le moment, c'est qu'il ne reconnait pas les lieux. Ni le parc, ni la rivière qui coule plus loin, ni tous ces grands arbres, ni les sentiers qui ont dû le mener jusqu'ici. Bon, don't panic. Il se frotte les paupières. Avec un mal de crâne comme ça, nul doute qu'il a juste dû se prendre une bonne cuite.
Ahun. Avec qui ? Des amis, sûrement. Il ne parvient même pas à mettre un nom sur un potentiel pote qui aurait pu l'accompagner dans ce périple d'aller faire la tournée des bars. Dieu, ça doit faire longtemps qu'il n'a plus pris de cuite pareille.
D'ailleurs, sa dernière cuite, c'était quand déjà ? Et la première ? Il a beau se masser les tempes, il manque d'effroyables pièces au puzzle de son existence. En fait, il lui manque tout.
Saisi d'un effroi grandissant, il regarde plus attentivement autour de lui.
Faire le point.
Bien. Il ne sait pas où il est (ni dans quel lieu, ni dans quelle ville, ni même dans quel pays). Il ne sait pas comment il est arrivé ici. Il ne sait pas quel jour on est (en fait, même pas quel mois ni quelle année). Il ne sait pas avec qui il était.
D'une main tremblante, il extirpe de sa poche arrière un passeport qu'il n'a jamais vu. La panique grandit en lui. Il ne se souvient même pas de son prénom. Ni de son âge. Ni de rien le concernant. Sa mémoire lui semble être une purée de souvenirs qu'on aurait écrasé, distordus, réduits en cendres. Il le parcourt, très vite.
Jacob Huckel. Né le 26 mars 1988.
Il ignore qui est ce Jacob Huckel. Mais, vraisemblablement, il comprend avec effroi que ça doit être lui.

Bonjour. Je m'appelle Cobb (parce que Jacob, c'est vraiment moche), j'ai vingt-six ans, et c'est aujourd'hui que tout (re)commence.